La coudée du cloître de Saint-Michel de Grandmont

La visite du prieuré de Saint-Michel de Grandmont ne laisse pas indifférent, même le plus insensible.

Ce lieu touche l’humain à différents niveaux.  Le plus immédiatement atteint est le regard qui se porte sur l’harmonie architecturale et l’équilibre qui s’en dégage.  En même temps, à un niveau plus subtil, cet espace nous induit un sentiment de paix, de tranquillité.  C’est comme la sensation de la présence effective de la force du vivant.

Ce lieu exprime fortement la réalité du « sacré ».  De toute évidence l’église provoque l’émotion par sa simplicité. Le cloître amène l’apaisement par son dépouillement.  Le cloître de Saint-Michel de Grandmont est le seul parmi les constructions grandmontaines qui soit à peu près intact.
 

Le cloître et ses fonctions :

Mais on peut se poser la question : à quoi sert un cloître ?  Principalement nous y voyons trois fonctions.  Tout d’abord, par sa position, il assure la distribution entre l’église, la salle capitulaire, le dortoir, le réfectoire, la cuisine et l’entrée.  Ensuite il permet la déambulation méditative et la prière des clercs.  Enfin il recentre symboliquement le méditant en l’isolant physiquement du monde tout en l’ouvrant au ciel.  Ensuite on peut se demander : comment fut-il construit ?

Le carré sacré :
Dans toutes les traditions, le caractère premier de l’espace est d’être carré, la plan des constructions sacrées étant ordonné autour du carré ou du double carré. Le cloître est donc constitué de quatre galeries couvertes bordant un jardin en formant un carré.  Au milieu du jardin, un réceptacle en forme circulaire pour symboliser le ciel, contient de l’eau, indispensable support matériel de la vie.
 
 
Le tailloir crénelé :

Après la forme du cloître, observons en les dimensions.  Pour cela il est nécessaire de relever un détail important pour la compréhension de sa construction. C'est une particularité, semblant n'être qu'un décor architectural dont ne parle aucune publication traitant de ce prieuré.  Elle est en évidence dans la galerie orientale et se présente sous la forme d'un tailloir supportant quatre courte colonnettes, elles-mêmes soutenant trois départ d'ogives par l'intermédiaire d'un second tailloir.

Ce tailloir est crénelé de onze entailles. La plus à gauche est la plus petite que les autres et semble être là pour marquer une origine, un point de départ. Les dix autres, nettement plus grandes permettent d'y engager le pouce. Ces onze encoches déterminent donc dix intervalles.






La question :

Au cours d'une visite des lieux avec un ami, nous nous posions la question suivante : pourquoi avoir décoré ce tailloir en le crénelant alors que l'esprit de sobriété règne dans tout l'ensemble ?  On peut même dire de dépouillement extrême. Ce dépouillement est tel qu'il met en relief la règle des Grandmontains sans entamer la profonde signification du lieu.

Etendant ses doigts sur ce crénelage, mon ami me suggère que ce pourrait être la coudée ayant servi d'étalon aux mesures lors de la construction du cloître.  Cette coudée a été mise là, en évidence, pour inviter à retrouver le symbolisme qui a présidé au plan de la construction.
 

Un peu d'arpentage et de calcul :

Partant de cette hypothèse, quelque temps plus tard, le 16 janvier 1992, nous avons relevé, avec le plus de précision possible, les dimension métriques du cloître pour les ramener à la coudée supposée.  La distance séparant la première encoche de la onzième est de 0,575 m  (figure 2).

L'état des pierres au pied des murs était tel que la précision des relevés ne put être meilleure que le demi centimètre.  Ce qui nous donne pour les autre murs extérieurs :

mur Nord : 14,53 m
mur Est : 14,49 m
mur Sud : 14,26 m
mur Ouest : 14,26 m
Dimension moyenne des qautre murs extérieurs : 14,44 m. pour l'exprimer en coudée supposée, divison par 0,575 :       14,44 / 0,575 = 25,11 coudées.
 

De même, calculons la dimension moyenne des quatre murs intérieurs :

mur Nord : 8,69 m
mur Est : 8,73 m
mur Sud : 8,68 m
mur Ouest : 8,50 m
Dimension moyenne des quatre murs intérieurs : 8,65 m
Exprimé en coudée supposée : 15,04 coudées.
 

Calculons la partie jardin :

mur Nord : 7,23 m
mur Est : 7,27 m
mur Sud : 7,22 m
mur Ouest : 7,04 m
Dimension moyenne des quatre murs délimitant le jardin : 7,19 m.
Exprimé en coudée supposée : 12,5 coudées.
 

Qu'en déduisons nous ?

Nous pouvons maintenant affirmer, à partir des résultats obtenus que les 0,575 m. séparant la première encoche du tailloir de la onzième, représentent bien la coudée étalon utilisée par le concepteur du cloître.

De plus les constructeurs médiévaux ont exposé leur coudée étalon bien en évidence et ceci à l'instar de ce qui se faisait dans de grands édifices religieux de l'époque.

De la connaissance de la coudée de construction découle quelque remarques. Nous pouvons immédiatement voir que les dimensions ne doivent rien au hasard. En effet le relevé métrique nous donne, par exemple, pour les galeries : 14,44 m alors que la traduction en coudées nous donne 25 coudées.

De même pour la partie jardin, nous trouvons 12,5 coudées, soit exactement la moitié. D'où l'on déduit que le jardin a une surface quatre fois plus petite que l'ensemble.

Les galeries mesurent exactement 5 coudées de large.

Métrologiquement cohérente, cette mesure est donc bien l'étalon ou plutôt la pige de construction du cloître.  Les relations entre ces différentes mesures qui ne sont pas parlantes avec le système métrique le deviennent lorsqu'on utilise la coudée des constructeurs.
 

La proportion :

Les anciens n'avaient pas le soucis de la précision, mais plutôt celui des rapports, des proportions.  Cette idée de proportion était liée à celle de nombre entier et de mesure, particulièrement lorsqu'il s'agit d'une construction à but religieux.  Rapportons nous en cela à la parole de la Bible :
"Mais Tu as tout réglé avec mesure, nombre et poids." (Sagesse 11-20).  C'est pourquoi il ne faut pas considérer les mesures relevées en mètres, mais leur traduction en mesure utilisée par les constructeurs si l'on veut en percevoir les rapports numériques dans tout leur symbolisme.

Une nouvelle question se pose : pourquoi cette coudée mesure 0,575 m. plutôt qu'une autre dimension?

Intéressons nous un moment à cette coudée. D'abord d'ou vient elle ?
 

La coudée à travers l'histoire :

En remontant dans le temps jusqu'à l'empire égyptien, on rencontre de façon constante la coudée royale de 0,52 à 0,53 m  (LAUER, Le problème des pyramides).

Un exemplaire de 0,52 m divisé en 28 doigts répartis en 7 palmes de 4 doigts, est conservé par le musée du Louvre.

Dans la Bible, les mesures des temples de Moïse et de Salomon sont données en ancienne coudée de 0,45 m. (2 chronique 3,3) puis en coudée d'une coudée et un palme de 0,075 M; ce qui donne 0,52 m. (Ez. 40,5). Dans l'exode, Dieu prescrit en coudées les dimensions du sanctuaire portatif  (Ex.25-10).

Classiquement la coudée est définie comme étant la distance entre le coude et le médius du roi.  Ce qui conduit à une grande diversité de coudées, chaque pouvoir imposant la sienne.

Les multiples tentatives d'unification n'aboutirent, après des siècles d'imbroglio, qu'avec l'apparition du système métrique.

Nous avons vu que la coudée égyptienne mesurait 0,52 m tandis que la babylonienne valait 0,508 m. et celle d'Omar 0,6416 m. (C'est celle utilisée pour la construction de la mosquée du Rocher de Jérusalem).

La canne, ou le quine, des maîtres d’œuvre, d’après le Père Jean Betous, est formée, comme son nom l’indique, de la coudée et de ses quatre sous multiples : le pied, l’empan, le palme, la paume. Ceux-ci sont dans un rapport correspondant à la suite de Fibonacci, dans laquelle chaque terme est la somme des deux termes qui le précédent (1. 1. 2. 3. 5. 8. 13. 21. 24 etc…)
 

Le métrique du sacré :

L’unité la plus petite étant la ligne, qui équivaut au diamètre d’un grain d’orge (0,002247 m), nous avons le tableau suivant :

Paume = 34 lignes = 0,076 m
Palme = 55 lignes = 0,1236 m
Empan = 89 lignes = 0,2 m
Pied = 144 lignes = 0,3236 m
Coudée = 233 lignes = 0,5236 m.
Nous voyons tout de suite que les maîtres d’œuvre médiévaux utilisaient les propriétés de la suite de Fibonacci.  En particulier, le fait que deux nombres consécutifs et supérieurs à trois sont dans le rapport 1,6 c’est à dire le célèbre nombre d’or. Nombre qui a une étrange influence dans l’harmonie architecturale et que l’on retrouve constamment en botanique.
 

Le métrique du profane :

Ce bref voyage dans le temps ne nous éclaire pas sur l’origine de la coudée de ce cloître. Bien que nous ayons montré que l’étalon du tailloir représentatif la coudée de construction du cloître, il reste que les dix subdivisions de l’étalon, ne nous ramènent pas aux sous multiples que nous évoquions plus haut. Il en est de même si nous les rapprochons des différentes mesures médiévales profanes résumées dans le tableau suivant :

Le doigt
La palme = 4 doigts
L’empan = 12 doigts
La coudée = 23 doigts
La canne = 6 coudées
Notre coudée de Saint Michel reste donc un mystère quant à son origine précise. Elle ne paraît se rattacher à aucune coudée connue au XII° siècle.  De plus, la subdivision en dix,  sort du système duodécimal en usage.

L’ordre grandmontain, en se privant d’archives, de par sa règle, saurons nous, malgré tout, lever ce mystère ?

A ces questions s’ajoute celle de la mesure étalon des bâtisseurs de l’église. Aucune des ses dimensions ne vient corroborer l’emploi de la même coudée. L’affaire semble compliquée par le fait que la construction de l’église a précédé celle des autres bâtiments.
 

Conclusions :

Nous avons montré que la coudée du concepteur du cloître mesurait bien 0,575 m.

Ce qui nous permet de constater :

Il reste encore bien des choses à élucider sur ce site.  La voie reste donc ouverte pour la poursuite des investigations.
 

Bibliographie :

Prioré de Grandmont :

Métrolgie ancienne :


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